jeudi 2 octobre 2014

Sa majesté Caravelle (1/2)

"La douce et la sûre Caravelle". C'est par ces mots que le général de Gaulle parlait avec affection de son avion présidentiel : une Caravelle construite par Sud-Aviation. Symbole du renouveau français de l'Après-Guerre, de Gaulle en sera son plus fervent ambassadeur, mais la Caravelle est bien plus que cela.

Sa majesté Caravelle


Le vrai nom de la Caravelle est SE-210, SE pour Sud-Est Avaiation, une des sociétés nationales qui finiront par fusionner au sein de la SNIAS (Aerospatiale) en 1970. Pour comprendre d'où vient le succès en demi-teinte de cet appareil, il faut revenir à la Libération. L'industrie aéronautique en 1945 est dans un état critique : les usines sont détruites, les bureaux d'études dispersés, les matière premières rationnés. La France s'embarque pourtant sur un programme ambitieux pour rattraper  son retard. Un gros fossé à combler pour l'industrie française concerne les réacteurs et les appareils de transport civil pressurisés. La mise au point des réacteurs étant une affaire complexe, il est décidé de faire appel à des moteurs étrangers, britanniques principalement, mais un avion de transport civil pressurisé semble à portée de main.

La référence à la Caravelle


En octobre 1951, le Secrétariat Général à l'Aviation Civile (SGAC) émet une fiche programme  ambitieuse pour l'époque : un avion de ligne à réaction capable de transporter entre 55 et 65 passagers, ainsi qu'une charge marchande de 7 tonnes le tout sur une distance franchissable de 2000km, les turboréacteurs devant lui permettre de voler à une vitesse supérieure à 600km/h. Il fallait en outre qu'il puisse décoller d'une piste de de 1800m au maximum. Il y aura quatre réponse à cette fiche : Breguet, Hurel-Dubois, Dassault et la SNCASE. Les spécifications sont jugées intenables par beaucoup d'autres, mais ces quatre sociétés tentent de les tenir. Hurel Dubois propose le HD-45 un appareil très large qui ne répondait que partiellement aux exigences, et sa proposition est écartée. Dassault et Breguet proposent des solutions un peu plus proches des spécifications, et celui qui s'en approche le plus est la SNCASE avec son projet X-210.

Plan 3 vues de la Caravelle


SNCASE propose un appareil propulsé par trois réacteurs ATAR montés en triangle à l'arrière du fuselage, ce qui laisse une voilure très pure sans aucun alourdissement à cause des moteurs, et un fuselage qui sera très silencieux car les vibrations des moteurs restent cantonnées à l'arrière. Vers 1951-1952, la motorisation évolue : les ATAR ne peuvent produire que 2,7 tonnes de poussée, trois moteurs donnent donc 8,1 tonnes de poussée, alors même que le moteur "Avon" de chez Rolls Royce fournit déjà 4 tonnes de poussée : si la SNCASE sélectionne l'"Avon", elle peut ne mettre que deux moteurs et garder la même poussée que ce qui avait été prévu à la base : le X-210 sera donc bi-moteur.

éclaté de la première version de la Caravelle


L'appareil se présente donc avec une voilure basse en flèche pourvue d'ailerons et de commandes hydrauliques, aussi bien au niveau des ailes que de la dérive. Des volets fowler et des freins aérodynamiques sont implantés à mi voilure, aussi bien sur l'intrados que l'extrados. La configuration bimoteur impose un empennage horizontal à mi-dérive pour ne pas se trouver dans les remous générés par les moteurs. Cette configuration est à l'époque une première mondiale. La SGAC approuve cette configuration en juillet 1952 avant de signer le premier contrat pour la fabrication du X-210 le 3 janvier 1953. L'assemblage du premier prototype débute dès le mois de mars de la même année.

Station de fuselage de caravelle

Le X-210 devient ainsi le SE.210 et va prendre le nom de "Caravelle". Pour gagner du temps, la SNCASE achète une licence à de Havilland en Angleterre pour pouvoir intégrer l'avant du "Comet" sur la Caravelle : les deux appareils possède donc le même diamètre de fuselage et le même nez. La SNACSE achète même certains éléments directement à de Havilland pour les assembler à Toulouse.

Les hublots triangulaires, conçu pour résister aux pressions et ne pas faire de criques de fatigue comme sur le Comet


La Caravelle est un appareil qui fait passer SNCASE sur une autre échelle : c'est un appareil plus gros et plus complexe que tout ce qu'elle a pu réaliser par le passé. Contrairement à d'autres réalisations d'après-Guerre, le constructeur pense tout de suite aux challenges que vont poser la construction en série et le service après-vente d'un tel appareil. Pour Réaliser Caravelle, il faut pas loin de 23 000 dessins, représentant 17 000m2 uniquement pour la cellule ! 13 tonnes d'aciers spéciaux, 33 tonnes d'alliages légers, et pas moins de 840m2 de tôle sont nécessaires pour la surface extérieure de l'avion. En tout, il faut assembler pas moins de 63 000 pièces différentes. Pas moins de 810 équipements et calculateurs sont nécessaires, reliés par 50km de câblage électrique et 1,7km de tuyauteries !

Dépourvues de moteurs, les ailes offrent un profil très pur


La SNCASE va réaliser quatre prototypes : deux appareils dédiés au essais en vol, un appareil d'essais statiques et une Caravelle de pré-série. L'appareil d'essais statique est une nouveauté; en effet suite au déboires du Comet, la SNCASE décide de fair subir un essai piscine à une Caravelle entière, afin de tester la pressurisation et le vieillissement de manière accéléré. C'est ainsi que les ingénieurs de SNCASE vont avoir l'assurance que leur produit n'a pas le même défaut que les "Comet" britannique ! La SNCASE met au point une immense piscine qui peut simuler un cycle de vol en à peine 3 minutes, ce qui permet de tester le vieillissement de la cellule en accéléré. Le fuselage est terminé en mars 1954, et c'est finalement le 27 avril 1955 que la Caravelle 01 sort du hall d'assemblage pour la première fois.

Fuslage de caravelle montrant les différents tronçons


Initialement prévu pour le 31 mai, la Caravelle décolle pour la première fois avec Pierre Nadot aux commandes le 27 mai 1955. A bord de l'appareil se trouvent, en plus de Pierre Nadot, André Moynet, Jean Avril, et Roger Béteille. Le vol dure 22 minutes, l'appareil restant à faible vitesse. Dès le second vol,  un problème survient : à cause de la flexion des ailes, l'équipage ne parvient pas à rentrer les volets. Une modification des rails de guidage des volets permettra de régler le problème rapidement. Cette première Caravelle portait déjà les couleurs de la compagnie de lancement : l'hippocampe d'Air France. La compagnie nationale signa d'ailleurs en février 1956 une commande portant sur 12 exemplaires de Caravelle, plus une promesse d'achat pour 12 supplémentaires…à condition que la SNCASE puisse les livrer rapidement !

Les deux prototypes de Caravelle au parking à Toulouse


SNCASE possède deux Caravelles pour se vols d'essais, et va donc se permettre d'envoyer la deuxième faire le tour des aéroports  pour présenter le dernier né de l'industrie française. Le second prototype, F-WHHI, va faire des vols de démonstration à Bruxelles, Lisbonne, Stockholm, Rome ou encore Amsterdam, où de nombreuses compagnies vont manifester leur intention d'acheter. L'appareil partira ensuite en Amérique du sud, et enfin beaucoup plus important ; l'Amérique du nord, et plus particulièrement les Etats-Unis. Caravelle va obtenir une autorisation restreinte de vol en Amérique en avril-mai 1957 : Le prototype 02 fait donc une tournée de présentation en passant par Buenos Aires, New-York, Seattle et Toronto. Seattle où Boeing boudera ce petit appareil français qui ne vaut pas son "dash 80" futur 707, les ingénieurs de Boeing expliquant de manière condescendante aux ingénieurs de Sud que le concept des moteurs à l'arrière du fuselage est une mauvaise idée qui va provoquer un crash un jour ou l'autre à cause du centre de poussée qui est trop en arrière du centre de gravité. On remarquera simplement que toute la génération suivante des jets américains adoptera le "concept Caravelle" (Boeing 727, DC-9, Tristar etc…) preuve qu'il ne devait pas être si mauvais que cela.

La disposition des moteurs à l'arrière qui fera couler tant d'encre !

Le 4 juin 1957, le général de Gaulle revenu au pouvoir se rend en Algérie, et pour l'occasion, l'état emprunte un prototype de la Caravelle : l'évènement est filmé et diffusé dans la France entière, et le public commence à connaitre ce nouvel avion qui fait la fierté de la France. Le général déclare alors son admiration pour la Caravelle, appareil beaucoup plus spacieux et silencieux que ce qu'il connaissait jusque la. En outre, la présence de l'escalier intégré à l'arrière lui permet de descendre de la Caravelle sans enlever son képi et sans avoir à se contorsionner ! Idem dans la cabine où il peut se tenir debout au centre de l'appareil.

La cabine est grande et spacieuse, en plus d'être silencieuse...


Pendant ce temps, les essais en vol se passent bien, d'abord à Toulouse puis à Bretigny, Caravelle obtenant même le droit de survoler le salon du Bourget, sans toutefois avoir l'autorisation de s'y poser. En mai 1956, un premier certificat de navigabilité restreint permet à des équipages d'Air France d'exploiter la Caravelle, mais sans transporter de passagers payants. Air France est très satisfait de l'appareil lors de ces essais d'endurance qui vont occuper une bonne partie de l'année 1956. Enfin, après plus de 400  heures d'essais en vol, Caravelle reçoit l'autorisation de transporter des passagers, avec la délivrance du certificat type. Il faudra encore attendre le 2 avril 1958 pour que Caravelle puisse obtenir son dernier sésame : le certificat type américain lui permettant de voler sur le continent nord-américain.

L'assemblage des appareils débute...

Le 18 mai 1958, la Cravelle F-WHRA, premier appareil de série, fait son premier vol. Pendant ce temps là, les essais statiques se passent également bien : la première Caravelle d'essais statique est détruite (volontairement) en octobre 1958 après avoir résisté à la pression demandée et au-delà. Les essais piscines débutent en décembre 1958, et ils se terminent en octobre 1960 avec la rupture du fuselage, après avoir supporté plus de 100 000 cycles !

La Caravelle est sur le point de décoller commercialement parlant...


Du côté des ventes, les choses bougent également : un client bien européen va devenir le second client de la Caravelle, lorsque fin juin 1957, SAS (Scandinavian Airlines System) passe une commande de six Caravelles, avec des options pour 19 autres. La SNCASE signe un grand coup, vu que SAS n'achetait que américain à l'époque. Après toutes ces commandes, il restait le plus difficile à faire : fournir un appareil fiable et répondant aux attentes des clients !

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